Exposition "Les humeurs colorées de La Ferme"
" La Ferme voit la vie en jaune "
" On ne l'aime pas trop, celui-là! Dans le petit monde des couleurs, le jaune est l'étranger, l'apatride, celui dont on se méfie et que l'on voue à l'infamie. Jaune comme les photos qui pâlissent, comme les feuilles qui meurent, comme les hommes qui trahissent... "
Le jaune n'a pas toujours eu une mauvaise image.
Dans l'Antiquité, on l’appréciait plutôt. Les Romaines, par exemple, le portaient lors des cérémonies et des mariages. En Chine, il fut longtemps la couleur réservée à l'empereur, associé au pouvoir, à la richesse, à la sagesse. Mais en Occident, le jaune est la couleur que l'on apprécie le moins.
Il faut remonter pour comprendre cela au Moyen Age. C’est la couleur dorée qui a absorbé les symboles positifs du jaune, tout ce qui évoque le soleil, la lumière, la chaleur, et par extension la vie, l'énergie, la joie, la puissance… Le jaune, lui, est devenu une couleur éteinte, mate, triste, celle qui rappelle l'automne, le déclin, la maladie... Mais, pis, il s'est vu transformé en symbole de la trahison, de la tromperie, du mensonge... On le voit très bien dans l'imagerie médiévale, où les traîtres sont souvent affublés de vêtements jaunes comme Ganelon et Judas. Cette idée de l'infamie a traversé les siècles. Au XIXe, les maris trompés étaient encore caricaturés en costume jaune ou affublés d'une cravate jaune.
Pourtant on obtient le jaune avec des végétaux telle la gaude, aussi stables en teinture qu'en peinture : la matière tient bien, elle ne trompe pas… Or le jaune est non seulement la couleur de la trahison, mais aussi la couleur de l'ostracisme, que l'on plaque sur ceux que l'on veut condamner ou exclure, comme les juifs, qui doivent au XIIIème siècle porter un signe distinctif (une rouelle, ou encore une étoile qui évoque l'Orient). Tous ces signes s'inscrivent dans la gamme des jaunes. Plus tard, en instituant le port de l'étoile jaune pour les juifs, les nazis ne feront que puiser dans l'éventail des symboles médiévaux.
La Renaissance ne va rien changer au statut du jaune Malgré l'apparition de nouveaux pigments comme le jaune de Naples, il est peu présent dans la peinture. Même constat avec les vitraux: ceux du début du XIIe comportent du jaune, puis la dominante change et devient bleu et rouge.
Cette dépréciation va perdurer jusqu'aux impressionnistes. On songe évidemment aux champs de blé et aux tournesols de Van Gogh, et aux tableaux des fauves, puis aux jaunes excessifs de l'art abstrait. Dans les années 1860-1880, il se produit un changement de palette chez les peintres, qui passent de la peinture en atelier à la peinture en extérieur, et un autre changement quand on passe de l'art figuratif au semi-figuratif, puis à la peinture abstraite qui affirme qu'il y a trois couleurs primaires: le bleu, le rouge et notre jaune, qui se voit donc brusquement valorisé.
Pourtant dans la vie quotidienne et dans notre vocabulaire le jaune infamant est toujours là: on dit qu'un briseur de grève est un "jaune". On dit aussi "rire jaune", en lien avec le safran, réputé provoquer une sorte de folie qui déclenche un rire incontrôlable. Le jaune reste aussi la couleur de la maladie: on a encore le "teint jaune"… D’ailleurs, le jaune est peu abondant dans notre vie quotidienne. Seuls les enfants le plébiscitent: dans leurs dessins, il y a souvent un soleil bien jaune et des fenêtres éclairées en jaune. Mais ils se détachent de ce symbolisme en grandissant.
Va-t-on cependant vers une vraie réhabilitation du jaune? Portée en avant par le maillot jaune du Tour de France, la couleur est associée dorénavant à celle du leader. Le jaune s'insinue dans les maillots et les emblèmes L'art et le sport ont donc contribué à réinsérer le jaune dans une certaine modernité. Etant tombée très bas, et ayant commencé à se relever doucement, cette couleur-là ne peut que se redresser. Le jaune a un bel avenir devant lui.
(D’après Dominique SIMONNET et Michel PASTOUREAU)
Exposition du 26 novembre au 4 décembre 2016
Tous les jours de 15h à 19h
Nocturnes les samedis 26 novembre
et 3 décembre.
jusqu'à 21h00